Page:Metzger - Jean-Jacques Rousseau à l’île Saint-Pierre, 1877.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que ce plaidoyer paradoxal en faveur du vice ! Quel cynisme, quel mépris de l’amitié, de l’amour même, joint à la forme la plus magnifique que la phrase française ait jamais revêtue ! Ah ! qu’il est méprisable, quand il nous dévoile les faiblesses de Madame de Warens, de cette femme, qui l’avait recueilli quand, pauvre et misérable, il venait d’abjurer sa religion pour un morceau de pain ; qu’il est infâme, quand il nous raconte comment cette femme s’est donnée à lui, pour épargner à sa fougueuse jeunesse le scandale des mauvaises liaisons, et qu’il nous dévoile jusqu’aux intimités de sa première caresse, jusqu’aux larmes, que la volupté lui arrachait, jusqu’au calme, par lequel son amie répondait à ses brûlants baisers. Ah ! certes, si une fois, dans sa vie, il devait se taire, c’était le cas ou jamais ; combien n’eût-il pas été plus noble à lui de ne nous présenter sa bienfaitrice que sous les dehors charmants, que lui donnaient sa grâce et son esprit, et de lui épargner cet affront, dont la femme la plus déchue, de nos jours, ne consentirait pas de subir le scandale ! Qu’il est hideux quand, avec un laisser-aller sans égal, il nous raconte l’abandon de ses enfants ! Ce n’était pas assez pour lui que de vivre avec une servante d’auberge ; les rejetons de ces tristes amours, il fallut encore qu’il les léguât à l’opprobre de la société. Et pour tranquilliser sa conscience, il lui suffit de se dire que, puisque c’était l’usage à Paris d’exposer les enfants, il n’avait que faire de nourrir les siens ; aussi fit-il comme il le dit, et envoya-t-il ces pauvres créatures aux Enfants-trouvés, sans même se soucier de mettre à leurs langes, à son deuxième abandon, une marque qui lui permît de les reconnaître plus tard. Mais