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tard, à Paris, souvent il aimait à passer des journées entières au sein de la nature, dans la société de Bernardin de Saint-Pierre ; et maintenant qu’il était complètement libre, il s’adonnait avec enthousiasme à cette étude, devenue pour lui une véritable passion. Ce qu’il recherchait surtout, dans cette occupation, c’était l’oisivité, c’était l’absence de tout délire d’imagination. Ce philosophe, dont les paradoxes avaient effrayé l’Europe ; ce hardi penseur qui, par ses affirmations, avait porté à l’édifice de la royauté ces coups de béliers, qui devaient se traduire par 1793 ; ce puissant original, toujours inquiet, toujours farouche, prenait un suprême plaisir à errer nonchalamment dans les bois et dans la campagne, à prendre, çà et là, tantôt une fleur, tantôt un rameau, à brouter son foin presque au hasard, comme il le dit lui-même, et à observer mille et mille fois les mêmes choses, et toujours avec le même intérêt, parce qu’il les oubliait constamment. C’est dans ces distractions variées qu’il passait ses matinées, en berçant sa pensée du chant des oiseaux et du flot qui venait expirer sur les galets de la plage, car l’île, à cette époque, n’avait pas encore sa ceinture de pierre qui, commencée en 1770, ne fut achevée qu’en 1774, sous la direction de Jean-Ulrich Spillmann de Villenacheren, comme l’indique la pierre commémorative, qui fait face à Gléresse.

À midi, on venait l’arracher à sa rêverie ; Jean-Jacques prenait ses repas dans la petite cuisine, pavée de briques, qui livre le passage de sa chambre, et dont les buffets à provision existent encore. De cette cuisine, ainsi que de la chambre du philosophe, la vue est splendide ; entre la langue de terre, qui constitue le verger,