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extrêmes, ils ramènent l’égoïsme ou la fureur de l’impulsion sauvage. »

Ajouté « vers le milieu ». « Dans ce qui tient au perfectionnement de l’âme ou de la pensée, beaucoup de circonstances paraissent uniques pour nous, et même de certaines impressions que nous pouvons recevoir des incidents les plus ordinaires n’auront lieu qu’une fois. Toute forme extérieure n’est que l’expression d’une idée, et pour que cette idée ou nouvelle ou rectifiée fasse partie de notre domaine intellectuel et moral, c’est assez qu’un jour elle nous ait atteint avec une sorte d’énergie proportionnée à nos forces. L’ordre naturel maintient les espèces, mais les individus disparaissent par millions sans que cet ordre soit troublé. Nulle part peut-être cette opposition n’est plus frappante que dans la loi subie par la société des abeilles. Là tout est subordonné, tout reste asservi à la seule mouche qui reproduit l’espèce. On pourrait dire en général que selon le plan ou le calcul universel, une espèce est un nombre nécessaire, du moins à l’époque qui lui a été réservée, tandis que les individus, semblables à des fractions, n’ont guère de valeur par eux-mêmes que si leur intelligence s’élève jusqu’à l’ordre moral, dont les règles sont particulières. S’il était vrai qu’une émotion utile ne se reproduit jamais dans toute sa force, ce serait à nous d’avoir soin qu’au moyen de nos souvenirs un seul fait suffit pour ce que nous en devons apprendre. Souvent, depuis que je suis seul, les chants ou les cris lointains des oiseaux nocturnes ont rendu moins pénibles des heures trop silencieuses et apparemment trop paisibles pour ma faiblesse. Mais hier cette voix de la solitude, ce bruit prolongé dans mes vieux rocs me trouva mieux disposé à voir dans ces effets naturels un indirect mais salutaire avertissement. De toutes parts, il nous est offert chaque jour, et un jour vient où nous aimons à l'entendre. S’il est une expression profonde avec quelque durée, c’est celle d’une douleur calme. Nos tristes soupirs suscitent l’espérance et le repos la confirme. Nous croyons alors découvrir l’homme futur au delà des mobiles figures du temps ; nous voyons apparaître quelque chose d'immense que nous demandons et que nous ne saurions saisir avant que des développements imprévus aujourd’hui ne rendent notre pensée moins incertaine et plus heureuse. Ce n’est pas précisément la douleur qui fait toucher à l'infini, elle nous accablerait auparavant. Mais la douleur