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— Que je suis malheureuse ! répéta Julie avec un redoublement de larmes, et en lui serrant la main avec force.

— Mais quand même vous m’auriez compris, madame, continua Darcy avec cette expression de mélancolie ironique qui lui était habituelle, qu’en serait-il résulté ? J’étais sans fortune ; la vôtre était considérable ; votre mère m’eût repoussé avec mépris. — J’étais condamné d’avance. — Vous-même, oui, vous, Julie, avant qu’une fatale expérience ne vous eût montré où est le véritable bonheur, vous auriez sans doute ri de ma présomption, et une voiture bien vernie, avec une couronne de comte sur les panneaux, aurait été sans doute alors le plus sûr moyen de vous plaire.

— Oh ciel ! et vous aussi ! Personne n’aura donc pitié de moi ?

— Pardonnez-moi, chère Julie ! s’écria-t-il très-ému lui-même ; pardonnez-moi, je vous en supplie. Oubliez ces reproches ; non, je n’ai pas le droit de vous en faire, moi. — Je suis plus coupable que vous… Je n’ai pas su vous apprécier. Je vous ai crue faible comme les femmes du monde où vous viviez ; j’ai douté de votre courage, chère Julie, et j’en suis cruellement puni !… Il baisait avec feu ses mains, qu’elle ne retirait plus ; il allait la presser sur son sein…, mais Julie le repoussa avec une vive expression de terreur, et s’éloigna de lui autant que la largeur de la voiture pouvait le lui permettre.

Sur quoi Darcy, d’une voix dont la douceur même rendait l’expression plus poignante : — Excusez-moi, madame, j’avais oublié Paris. Je me rappelle maintenant qu’on s’y marie, mais qu’on n’y aime point.

— Oh ! oui, je vous aime, murmura-t-elle en sanglotant ; et elle laissa tomber sa tête sur l’épaule de Darcy. Darcy la serra dans ses bras avec transport, cherchant à arrêter ses larmes par des baisers. Elle essaya encore de se débarrasser de son étreinte, mais cet effort fut le dernier qu’elle tenta.