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notre premier sujet pour les proverbes, il y a deux ans.

— Mon Dieu, madame, il y a si longtemps que je n’ai joué de proverbes, que je ne pourrais plus retrouver mon assurance d’autrefois. Je serais obligée d’avoir recours au « J’entends quelqu’un. »

— Ah ! Julie, mon enfant, devinez qui nous attendons encore. Mais celui-là, ma chère, il faut de la mémoire pour se rappeler son nom…

Le nom de Darcy se présenta sur-le-champ à Julie. — Il m’obsède, en vérité, pensa-t-elle. — De la mémoire, madame ?… j’en ai beaucoup.

— Mais je dis une mémoire de six ou sept ans… Vous souvenez-vous d’un de vos attentifs lorsque vous étiez petite fille et que vous portiez les cheveux en bandeau ?

— En vérité, je ne devine pas.

— Quelle horreur ! ma chère… Oublier ainsi un homme charmant, qui, ou je me trompe fort, vous plaisait tellement autrefois, que votre mère s’en alarmait presque. Allons, ma belle, puisque vous oubliez ainsi vos adorateurs, il faut bien vous rappeler leurs noms : c’est M. Darcy que vous allez voir.

— M. Darcy ?

— Oui ; il est enfin revenu de Constantinople depuis quelques jours seulement. Il est venu me voir avant-hier, et je l’ai invité. Savez-vous, ingrate que vous êtes, qu’il m’a demandé de vos nouvelles avec un empressement tout à fait significatif ?

— M. Darcy ?… dit Julie en hésitant, et avec une distraction affectée, M. Darcy ?… N’est-ce pas un grand jeune homme blond… qui est secrétaire d’ambassade ?

— Oh ! ma chère, vous ne le reconnaîtrez pas : il est bien changé ; il est pâle, ou plutôt couleur olive, les yeux enfoncés ; il a perdu beaucoup de cheveux à cause de la chaleur, à ce qu’il dit. Dans deux ou trois ans, si cela continue, il sera chauve par devant. Pourtant il n’a pas trente ans encore.