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Perrin ; dites bien à sa femme que c’est un brutal, un homme qui a la réputation la plus mauvaise…

— Oh !…

— Un libertin… vous le savez. Il avait des maîtresses lorsqu’il était au régiment ; et quelles maîtresses ! Dites tout cela à sa femme.

— Oh ! comment dire cela ? Entre l’arbre et l’écorce…

— Mon Dieu ! il y a manière de tout dire !… Surtout dites du bien de moi.

— Pour cela, c’est plus facile. Pourtant…

— Pas si facile, écoutez ; car, si je vous laissais dire, vous feriez tel éloge de moi qui n’arrangerait pas mes affaires… Dites-lui que depuis quelque temps vous remarquez que je suis triste, que je ne parle plus, que je ne mange plus…

— Pour le coup ! s’écria Perrin avec un gros rire qui faisait faire à sa pipe les mouvements les plus ridicules, jamais je ne pourrai dire cela en face à madame de Chaverny. Hier soir encore, il a presque fallu vous emporter après le dîner que les camarades nous ont donné.

— Soit, mais il est inutile de lui conter cela. Il est bon qu’elle sache que je suis amoureux d’elle ; et ces faiseurs de romans ont persuadé aux femmes qu’un homme qui boit et mange ne peut être amoureux.

— Quant à moi, je ne connais rien qui me fasse perdre le boire ou le manger.

— Eh bien, mon cher Perrin, dit Châteaufort en mettant son chapeau et arrangeant les boucles de ses cheveux, voilà qui est convenu ; jeudi prochain je viens vous prendre ; souliers et bas de soie, tenue de rigueur ! Surtout n’oubliez pas de dire des horreurs du mari, et beaucoup de bien de moi.

Il sortit en agitant sa badine avec beaucoup de grâce, laissant le commandant Perrin fort préoccupé de l’invitation qu’il venait de recevoir, et encore plus per-