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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

rencontrai cette femme. Elle se trouvait dans une situation désespérée et m’honora de sa confiance. Malgré ma jeunesse, je pris sa défense et ne reculai devant rien pour faire triompher sa cause. J’avais affaire, sachez-le, à un homme puissant, le moins scrupuleux des adversaires, un mari qui cherchait à dépouiller sa femme de tous ses droits. Ce que j’ai fait alors, je le referais aujourd’hui. Je m’étais engagé à fond ; j’avais juré de protéger une victime indignement traitée. Je ne m’arrêtai point à des bagatelles, vous ne l’ignorez pas, vous qui avez lu mon plaidoyer devant le tribunal. Ce que je savais de l’affaire me justifiait à mes propres yeux, mais ma famille me rejeta et le monde me honnit. J’avais consacré à la baronne mon temps et ma fortune, et compromis ma réputation à son service : elle prit, très judicieusement, toutes dispositions pour me rembourser en partie sur ses biens personnels et n’avoir pas à rougir de se sentir mon obligée. Ne voyez rien d’extraordinaire dans ce que les hommes d’expérience trouvaient tout naturel. Quant à ce qui touche les affaires du cœur, nous sommes maintenant aussi éloignés l’un de l’autre que les deux pôles.

Alvan parlait avec volubilité. Il avait dit tout ce que l’on pouvait attendre de lui.

Ils se trouvaient dans un bois, et passaient entre des rangées de sapins, dont les rayons fauves du soleil doraient la sombre verdure. Entre tous ses compagnons à l’écorce nette, un des arbres se montrait rongé de lichen. Noir comme son ombre, de ses basses branches traînantes à sa cime empanachée, il offrait une sinistre vision.

— Je vais composer une épître élégante et défé-