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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Clotilde ne cessait pas de hocher la tête avec malice.

— Oui, concéda-t-elle, c’est une tête vigoureuse, une tête vigoureuse et une forte mâchoire, par Lavater ! Vous étiez jeune, audacieux, aventureux ; elle vous a paru séduisante dans sa détresse. Maintenant, elle est vieille, et vous êtes amis.

— Amis, oui, approuva Alvan en rendant un hommage mérité à la largeur d’esprit de la jeune fille.

— Nous sommes amis ! répéta-t-il avec un soupir sorti du fond de sa poitrine. Le mot que Clotilde lui avait dédaigneusement soufflé était un baume à sa vanité blessée, et son épiderme endolori appelait trop le pansement pour qu’il s’arrêtât au mobile qui le faisait appliquer. La dédaigneuse hauteur surprise dans les yeux que Clotilde fixait sur la photographie l’avait assez humilié pour qu’un mot d’elle pût le soulager. Cependant, malgré sa susceptibilité chatouilleuse, il ne fit rien pour enterrer le sujet, au prix d’une dérobade qui eût pu laisser planer des soupçons injurieux sur ses sentiments à l’égard de la vieille femme ou de sa jeune rivale.

— Amis, vous le dites bien ; bons amis. Seulement, vous devriez comprendre que le cas est un peu, un tout petit peu différent du nôtre. Je ne puis pas, et ne voudrais pas non plus, supprimer le passé. Ce serait pour moi une douloureuse épreuve que de rompre le lien qui nous unit. À supposer que ce fût chose possible. La gratitude m’attache à elle. Elle est vieille, maintenant, mais eût-elle deux fois son âge, que je lui resterais fidèle. Vous haussez les sourcils, Clotilde ? Eh bien, j’étais jeune, quand je