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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

faisait pas montre de froideur en songeant à son enfant.

— Oh oui, ces gens-là savent faire leur devoir, fit-il d’un ton morne, mais avec un souci de justice.

— Et somme toute, c’est à elle que vous devez de m’avoir vue.

— Vous avez raison, concéda-t-il, et il s’ingénia, à force de courtoisie, à faire oublier sa violence.

Clotilde s’éloigna sous une lourde averse et disparut bientôt dans un pan de brume, mais au pied de la montagne un messager lui remit une lettre d’Alvan, torrent brillant de lave épanché de son cœur après la séparation et confié au petit montagnard qui savait devancer les voyageurs du grand chemin. De l’autre côté du lac, en entrant dans son hôtel, elle trouva un télégramme. Le soir le fil lui transmit un « Dormez bien », puis un « Bonjour » à son réveil. Un récit enjolivé des faits de la journée lui parvint par la même voie, puis le soir, ce souhait : « Dieu vous garde ! »

— Qui pourrait lui résister ? soupira Clotilde. Elle se sentait exaltée, vibrante, flattée, ravie, mais aspirait en même temps au calme et souhaitait un abri où échapper à l’excès de vie dont il l’entourait. Cette fois, il ne fallait pas compter sur un refroidissement de sa ferveur.

— Quel merveilleux, quel idéal amant ! admirait son amie.

— S’il n’était que cela, fit pensivement Clotilde ; s’il n’était que cela, chère Anglaise, on pourrait bien lui résister. Mais tous les amants, Alvan les domine de haut ; c’est un homme merveilleux et idéal, un homme si grand, si généreux, si héroïque, si gigantesque, que ce qu’il veut doit être.