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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

— Vous sentez la griserie de la montagne ?

— Je sens que vous me la révélez.

— Parlez-moi des livres que vous avez lus.

— Oh ! de la littérature romanesque, pauvre bagage.

— Quand nous lirons ensemble, vous ne direz plus cela. La littérature légère, c’est le jardin, le verger, la fontaine, l’arc-en-ciel, la vaste perspective ouverte sur le monde comme sur nous-mêmes. C’est notre sang qui coule, notre histoire en abrégé. La littérature romanesque ! Le Philistin l’exècre, faute de voir en lui-même ou au dehors. Le desséché qui la condamne s’avère rameau sans écorce et sans sève, retranché de l’arbre de vie. Le vulgaire réclame un plaisir à sa ressemblance ; qu’il se vautre dans sa bauge sans attenter à la beauté de la noble fiction. À nous, public d’élite, les bons écrivains de la littérature délassante. Poètes, romanciers, critiques, dramaturges, à eux un rang honorable dans ma République. Je n’ai pas de place parmi eux ; ce sont les lois et les sciences qui ont fait de moi un politicien et m’ont mis sur la route du pouvoir. Et je le dis hautement pourtant, je dois autant aux œuvres de fiction qu’aux livres de science pure, autant à l’étude du sang humain en mouvement qu’à la reconstitution savante de squelettes préhistoriques. Arrière, ceux qui condamnent la fiction et n’ont pas de goût pour les recherches littéraires ! N’aimer pas les jeux de l’esprit, c’est manquer d’esprit simplement ; le critérium est sûr. Mais nommez-moi vos livres.

Elle en cita deux ou trois.

— À quand la première année de la République du Dr Alvan ?

— Clotilde ? Il se tourna vers elle.