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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

lable du sexe pour déchiffrer sans trop d’erreurs le caractère de Clotilde. La rumeur publique l’y aidait et donnait corps à des soupçons dont la véhémence de son accusation fortifiait en lui l’amertume :

— Je sais tout ; sans exception ; tout, tout, vous dis-je. Mais qu’importe, si je remporte sur vous la victoire que je remporterai… à la condition que vous m’aidiez un peu.

Il s’étonna de n’entendre point Clotilde protester contre ce « tout » emphatique, alors que le silence même de la jeune fille était un hommage à sa perspicacité. Maints amoureux et amants d’excellente tenue ont contribué à la préparation de cette drogue amère qu’est pour eux le silence en face d’un pardon magnanime ; contraints de l’absorber, ils ont dû faire appel à tout leur courage pour avaler sans sourciller le tonique. À aucun moment de leurs singuliers rapports, les sexes ne s’éloignent davantage l’un de l’autre. L’accusée a ses raisons pour garder le silence : ses peccadilles grossissent, à ses yeux, en proportion de la générosité qui les excuse, et cette conviction, aiguisée par les reproches de sa conscience et la terreur d’une mystérieuse pénétration, lui coud les lèvres. Elle n’imagine pas l’effet de son silence sur le magnanime accusateur. Reconnaissons, au surplus, au détriment du bon renom des hommes, que certains amoureux n’ont pas su conserver jusqu’au bout leur noble attitude et persister à dire : « Pauvre enfant ; tu es femme ! » Ils en ont réduit l’effet à néant et détruit jusqu’au souvenir, en se laissant entraîner à un interrogatoire bégayant et à d’insistantes questions d’amoureux bafoué. D’autres, au contraire, ont su garder leur calme, mais n’ont pas digéré le tonique faute d’avoir