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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

l’imagination de Clotilde les exploits que n’eût pas manqué de lui inspirer l’amour, si elle eût joui d’une liberté d’homme. Elle n’eût certainement pas écouté une petite sotte éplorée, ni laissé se creuser un abîme après les folles minutes de la première déclaration. Le prince Marko savait aimer, lui ; c’était un véritable amour que le sien, et auquel ne manquait aucun des signes de la passion.

Clotilde se mit à analyser l’amour de Marko et se sentit pénétrée de sentiments divers : pitié, gratitude se disputaient son cœur, et cette sorte d’émotion faite d’admiration et de douloureuse estime que susciterait chez un musicien le bruit rendu par un noble instrument fracassé. Le prince la servait fidèlement, malgré sa répugnance pour certaines des missions que lui confiait sa dame. C’est à lui qu’elle devait s’adresser pour avoir des nouvelles d’Alvan. Il lui fournit des détails sur le vieux procès et sur le plaidoyer prononcé par Alvan lui-même, pour justifier un délit commis en faveur de la baronne : rien moins que la soustraction brutale à l’adversaire d’un document favorable à la cause de la dame. C’était un de ces cas qui donnent grande matière à discussion et qui ont leur noblesse autant que leur vilenie. En l’espèce, l’opinion du monde, comme le reconnut bravement Marko, n’avait pas été défavorable à Alvan.

La bonne Mme de Crestow et son mari avaient, fort judicieusement, donné aux parents de Clotilde des éclaircissements sur la mémorable soirée, et le bruit soulevé par leur récit autant que les épithètes décernées à Alvan disaient l’accueil qu’eût reçu sa proposition de mariage. Clotilde ne pouvait espérer frayer dans des maisons où fût invité « le déma-