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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

à la tête d’or. Dormez, rêvez, et osez nier au réveil que vous m’ayez donné votre âme ! Serpent, vous l’êtes bien ; chacun peut voir votre crête d’or, et quant à votre coup de dent, je l’ai éprouvé. J’ai connu la morsure avant les baisers. Injuste renversement de l’ordre naturel des choses. À propos, Hamlet est bien empoisonné, intoxiqué par la voix du fantôme.

— Fou ! il est fou ! fit avec un sourire Clotilde, qui recouvrait ses esprits.

— Il était bilieux de naissance et avait hérité du tempérament paternel. Rien de sa mère. Généreux d’esprit et prompt à l’exécution, il savait réfléchir quand il restait quelque place entre la coupe et ses lèvres. Il était de nature complexe et avait la conscience chatouilleuse comme celle de la mère endormie qu’éveille un cri encore en puissance de son nourrisson ; avant l’apparition du spectre, c’était un héros tout simple, dont une bouffée d’action eût chassé la mélancolie. Après, c’est un moraliste confus attendant que les vents viennent pousser ou arrêter son bras. L’apparition de son père empoisonne son sang apathique et achève de déranger une tête farcie de philosophie de Wittemberg. Avec une cervelle bourrée de métaphysique et un sang empoisonné, avec des yeux ouverts sur le monde invisible et sur un monde concret tout bouleversé, on peut bien offrir les apparences de la folie. Mais il avait toute sa tête et, dans son corps malade, sa raison ne fut jamais détrônée.

— La folie seule peut excuser sa conduite envers Ophélie.

— Un sang empoisonné excuse assez bien une infidélité.