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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

volonté, venir à bout de la leur ? Oh non ! plus de délais.

— Si ! cria-t-elle ; il le faut !

— Vous l’affirmez ?

Clotilde n’eut pas le courage de réitérer sa protestation. Elle tremblait de façon visible ; elle eût eu moins de peine à se faire enlever sur l’heure qu’à lui assigner un jour pour venir voir ses parents. Mais elle redoutait plus encore qu’il prît l’initiative, et tel était en lui le caractère de maître des destinées, qu’elle le sentait de taille à provoquer les événements. Il était son rêve incarné, son aigle parmi les hommes et elle se sentait comme un agneau entre ses serres ; elle ne résistait plus : seule vivait en elle la terreur de sa puissance et une notion accablante et toute neuve de la réalité.

— Je vois, fit Alvan, le cœur soudain alourdi par cette inaptitude à seconder son effort. La protestation apeurée de Clotilde lui rappelait tous les fardeaux dont il était chargé : sa fâcheuse réputation auprès des parents de Clotilde, ses chaînes si lourdes à détacher. Et pourtant il était d’âge à réprimer ses impulsions, s’il le fallait, et à étouffer un feu moins ardent que celui de ses passions.

— Soit ! acquiesça-t-il. Il eût été si facile, cependant, de sauter par-dessus la haie pour gagner la grand’route, et de prendre hardiment le raccourci au lieu de s’attarder en d’interminables détours. Un peu de décision suffirait, un éclair de volonté, un redressement du cœur. C’est comme cela que se gagnent les batailles. Ce ne sont pas de tendres jeunes filles qui les remportent, il est vrai, et pour celle-ci, la tâche est trop lourde. Allons, nous sommes dans votre main, enfant ! Adieu, serpent