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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Ils ne vont pas très bien ni l’un ni l’autre… Épargnez-les pour l’instant…

Pour ne pas se laisser emporter malgré elle, elle s’arracha au dos du centaure et sauta sur la terre désenchanteresse ; elle se détacha de lui en esprit et trouva les yeux de ses parents et de son entourage pour considérer ce prétendant aux airs hautains, au sang juif et à la réputation bruyante, bruyante comme celles qui font siffler les oies et les serpents du monde. Elle le vit avec leurs yeux, froidement, par un de ces miracles de la lâcheté qui laissent la tête active et glacée, malgré l’activité persistante d’un cœur qui voudrait la réchauffer.

Alvan perçut cette faiblesse :

— Et si je décidais que cela doit être ? fit-il.

— Comment faut-il vous supplier ? reprit-elle avec un frisson, comprenant qu’elle avait laissé passer l’occasion de lui glisser entre les doigts, comme savent le faire, au moment critique, des femmes rompues aux façons du monde ou de très habiles jeunesses. Elle avait perdu sa chance par excès de franchise, car c’est ce nom qu’elle donnait à sa lâcheté.

— Allons ! je vois que la tâche sera rude ! soupira Alvan devant le désarroi qui bouleversait Clotilde. Pourquoi ne pouvez-vous pas, sans terreur, vous élever à mon niveau ? Le chemin s’offre à nous ; libre à nous de nous y engager. N’avez-vous pas senti, ce soir, que nous sommes faits l’un pour l’autre ? C’est votre destin qui vous fait signe, et l’on ne se joue pas sans danger de son destin. Regardez-moi : ne m’accordez-vous pas assez d’empire sur moi-même pour supporter tout ce qu’ils me feront supporter, et pour savoir, par ma