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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Elle s’arrêta court, saisie de terreur panique, à l’idée de la colère de ses parents et de leurs réactions diverses.

— Mon père, fit-elle, ma mère…

— Demain ou après demain, pas plus tard. Ne différons pas. Vous êtes à moi ; nous ne faisons qu’un, et plus tôt ma cause sera plaidée, mieux cela vaudra pour nous deux. Si je pouvais entrer dans cette maison et voir vos parents à l’instant, je sens que je conjurerais le mauvais sort. Ne voyez-vous pas que le temps nous est dû et que les minutes sont notre or, qui nous glisse entre les doigts ?

Clotilde retira brusquement sa main qui reposait sur le bras d’Alvan. Ce n’était pas pour la reprendre, mais pour ne point l’abandonner en gage à cet homme qui ouvrait un abîme à ses pieds. En proie à une terreur mortelle, elle s’écria

— Oh ! pas encore, pas tout de suite !

Elle tremblait, et l’angoisse qui la suffoquait rendait sa supplication plus éperdue :

— Songez un peu… pas encore… Plus tard, peut-être. Il ne faut pas les inquiéter pour l’instant… Pas si vite. Je suis… Je ne puis… Attendez, je vous en conjure…

— Mais vous êtes à moi ? protestait Alvan ; vous le sentez comme moi. Il ne peut pas y avoir de véritable obstacle entre nous.

Elle poussa un soupir où elle s’efforçait de faire tenir un monde de prières. Par terreur de l’éloquence, d’Alvan elle chercha à l’empêcher de parler, sans souci de l’inanité de ses propres paroles :

— N’insistez pas. Oui, un jour, ils consentiront ; ils pourront consentir… Mon père ne va pas très bien… Ma mère… elle ne va pas très bien non plus.