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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

de Clotilde, il n’apportait guère d’aliments ; il ne savait pas parer ses récits de couleurs nouvelles et se conformait volontiers au style télégraphique. Bacchus Indien plus ou moins inutile, il symbolisait assez bien la beauté et le vide d’un monde dont Clotilde éprouvait, avec une surprise nouvelle, l’étroite médiocrité, chaque fois qu’elle tentait de s’évader de son bocal à poissons d’or pour plonger dans la mer tumultueuse des hommes ; elle en venait à dédaigner les grâces raffinées, et se sentait, quand elle n’en subissait pas l’odeur, un goût subit pour les bouffées de tabac, encens familier de ces cercles où les paroles étaient du vin.

Elle finit par désespérer de se trouver jamais en présence de l’homme qui accaparait ses pensées au détriment de tous les autres. Elle souhaitait le rencontrer pour apprécier sa valeur autant que pour critiquer une idole. Un héros populaire ne pouvait guère répondre à son idéal, mais elle était curieuse de s’en assurer ; malgré le rayonnement dont il s’entourait, elle espérait, par sa seule vue, justifier son animosité et libérer son esprit de la détestable hantise de ce prodigieux petit Juif. Ajoutons qu’une compassion attendrie pour le prince Marko la poussait encore à saper son illusion. Quand elle ne croirait plus à l’existence d’un homme miraculeux, elle pourrait témoigner au prince une douce sympathie et peut-être répondre à ses désirs. Elle ferait ainsi la joie de ses parents, comme elle ferait la joie de tous en se montrant raisonnable et terne, en disant adieu aux rêves, et en allant, sur un « bonsoir », dormir avec les bêtes.

Un jour, en arrivant chez une amie nouvelle, habitante de ces plates régions où elle aimait frayer à