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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

jeunesse, elle avait été la première à découvrir le prodige, à l’élaguer, à le redresser, à le mettre en lumière. Alvan était l’un de ses ouvrages politiques, et sans doute le meilleur. Vieille affaire, au surplus, mais qui ne laissa pas d’exciter la curiosité de Clotilde. Le rapprochement du nom d’Alvan et de celui d’une femme, — même d’une femme déjà mûre, — lui fit conclure à l’extraordinaire puissance intellectuelle et magnétique de cet homme, qui pouvait, malgré ses disgrâces physiques, susciter un tel dévouement chez une personne de haute naissance. Elle chargea son princier esclave, qui l’avait suivie et ne s’éloignait jamais d’elle, de se procurer les renseignements les plus précis sur le fameux Alvan.

Le prince Marko s’efforça de seconder ses désirs : il était au courant, lui aussi, des bruits concernant Alvan et la baronne et s’étonnait que la dame de ses pensées s’inquiétât de gens qu’elle avait bien peu de chance de rencontrer jamais. Il lui demanda la raison d’une telle curiosité. Clotilde répondit de façon évasive, en accusant l’affreuse étroitesse d’esprit de la haute société. On ne pouvait trouver que profit à s’intéresser à un monde plus éclairé que le leur, à un monde où les idées foisonnaient, et où les idées grisaient comme un vin. Le prince s’inclina : si Clotilde professait de telles opinions, il était bon pour lui de s’y ranger aussi et le seul contact d’une belle main suffisait, tant qu’il se prolongeait, à les lui faire partager, comme un individu éloigné d’une batterie électrique en ressent la secousse à distance, par l’intermédiaire d’un seul fil. Chocs, blessures ou ruptures, il tenait pour bienfaits tout ce qui venait d’elle. Mais à la curiosité