Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

écrivains de l’époque. La source de leur mot commun sur le « Pompée de Plutarque » peut se découvrir dans un savant article sur l’art de portraitiste du sage de Chéronée. Le mot de Plutarque sur le « coup de dent » les avait, à cause de leur similitude de goûts, frappés tous deux par sa délicate cruauté, comme il avait frappé d’autres lecteurs. Et quant à César, Clotilde en faisait grand cas, regrettant seulement, pour ajouter au charme de son évocation, qu’il n’eût pas été doué de la beauté de son rival. Certains traits de Plutarque, sur la jeunesse de Pompée, avaient séduit son imagination, voire touché son cœur. Soyons-lui indulgents : elle aimait l’homme en lui, et s’il n’eût fini par être vaincu, son cœur de femme l’eût préféré. Notons aussi que le nom de Pompée ne prenait pas pour elle l’allure absurde que lui donne l’orthographe anglaise, mais comportait ce ton de noblesse qui sied aux hautes et lamentables fortunes. Si elle ne suivait pas le vaincu, c’est uniquement à cause de la séduction de la victoire, et parce qu’elle se sentait contrainte à rendre hommage au vainqueur. Hommage d’esclave dont la préférence secrète allait au héros magnifique qu’avaient adoré la fleur des Romaines.

Mais un César même, Alvan ne pouvait l’être, puisque Juif. Pourtant, un Juif dont le comte Kollin parlait avec tant de chaleur, devait constituer une exception, et c’est de l’exception que rêvait Clotilde. Peut-être avait-il la tête de César. Elle se représentait un crâne énorme, chaudière d’un cerveau en ébullition, au métal terni par le feu, noirci, dépoli, graisseux, imprégné de suie, tête de gnome formidable et malicieux. Ses questions