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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

le vaisseau de nos espoirs. Il passa sans transition de l’extrême angoisse à l’immobilité.

Le silence régnait dans la vaste demeure. Cette pâte humaine, si abondamment pétrie de bien et de mal, de révoltes et de généreuse colère, de passion pour l’avenir de l’humanité et de vanité personnelle, de magnanimité et de sensualité, de hauteur de jugement, de folle témérité, de chevaleresque et d’indompté, de solidité et d’incohérence, n’était plus que poussière.

Les deux hommes dont il était fait, le sauvage et le candidat à la vie rangée avaient, par leur lutte, amené sa destruction. Il périt de sa faiblesse, mais ce fut un fort qui tomba. Si sa fin fut sans gloire, la tache n’en suffit pas à obscurcir sa vie. Sa mort fut une dérision parce que le fauve qui s’agitait en lui l’y poussa seul. Un sang impétueux compromit en lui une belle intelligence. Ceux pourtant qui, jugeant les morts d’après le dernier chapitre d’une lamentable histoire, renouvellent à son sujet l’ordinaire imputation de fatalité et de destin accompli, ceux-là pourraient hésiter avant d’infliger l’épithète de sot ou de fou à un homme qui fut un ardent travailleur, objet de respect pour l’élite de son temps, chef reconnu de l’énorme armée laborieuse et qui, malgré les influences qui travaillaient en lui, commençait à se dégager de ses passions les plus viles pour brûler d’une flamme épurée, à l’heure même où un dernier coup de folie le poussait à la ruine. Il n’était pas non plus le dieu disparu que pleuraient les théories de travailleurs derrière un cercueil longuement promené de ville en ville par la baronne. Ce dernier mot de son histoire jette un voile de ridicule sur le zèle des fanatiques,