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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

mensonge et en exécrait l’imposture. La vue de Marko et son air de consternation achevaient de dissiper ses doutes, et la certitude de l’affreuse vérité la rongeait moins encore que son atroce ironie. Elle en était plus atteinte dans son intelligence que dans sa chair ; c’était une hantise qui troublait son entendement et son imagination. Tout en était décoloré ; c’était un dénigrement de la terre et de ses leçons, de sa conception de la vie. La clarté de toutes les voies de la raison s’en trouvait obscurcie. Penser qu’Alvan gisait blessé et en danger de mort, c’était une chose, mais que Marko fût l’auteur de ce désastre, c’en était une tout autre ; pensée blafarde et éblouissante que la douleur de Clotilde devait d’abord anéantir, pour retrouver chaleur et vie. Elle ne savait, en vérité, comment sentir, selon l’incertitude des cœurs lâches en face de sentiments trop forts. La colère contre la Providence prenait la première place en elle. Elle avait tant biaisé et cherché de détours, si bien lacéré son cœur, qu’elle n’aurait pu sans péril supporter de secousse nouvelle : elle n’avait plus de sensation assez solide pour supporter l’impression d’un sceau.

Le troisième jour même, jour fatal où Marko, livide comme son adversaire au cercueil, la conduisit au jardin et prononça le mot de mort, même ce jour-là, une stupeur de haine, aussi forte que la paralysante douleur de sa perte lui fit formuler cette pensée : « Pourquoi n’est-ce pas Alvan qui me parle ? » Question éperdue qui résonna près d’une minute en elle avant que l’angoisse, descendue comme un nuage, ne la submergeât. La Providence devenait une chose trop lointaine pour les imprécations. Clotilde ne s’adressa pas de reproches, car