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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

et sentie docilement plier dans sa main de femme. Lui, le tireur impeccable, frappé par un adversaire qui n’avait jamais brûlé de poudre avant la veille du combat ! Il était plus facile de rester incrédule, malgré la précision sans cesse aggravée des nouvelles. Elle lançait son « Impossible ! » à la Providence, et usant à son propre endroit d’une duplicité volontaire et presque sereine, accusait les siens d’avoir inventé l’histoire pour lui cacher la générosité d’Alvan. Il avait renvoyé du terrain le pauvre Marko ; c’était l’évidence même. Ainsi passait-elle d’une illusion à l’autre, les épuisant l’une après l’autre et les caressant encore, après en avoir senti fuir la vie factice.

Si manifestement absurde était l’idée d’un Alvan condescendant à un duel pour tomber sous les coups d’un Marko, qu’elle appelait un éclat de rire. Mais Clotilde ne savait plus rire, ne pouvait plus rire ni imaginer le rire, bien qu’elle dît encore des gens de la maison : « Ils jouent bien leur comédie ! » et détestât leurs mines de gravité chuchotante comme les termes médicaux et les noms de drogues qu’ils laissaient tomber ; elle sentait d’instinct que ces conciliabules brisaient dans sa main l’arme la plus propice à combattre leur mensonge. Eux pourtant et leur comédie, elle eût pu s’obstiner à leur refuser le crédit que la violence même de sa haine prouvait qu’elle leur accordait. Mais son entêtement frénétique ne résistait pas au regard de Marko. Force lui était, tout en ouvrant son cœur à la vérité, de simuler une incrédulité persistante, de peur que le poids du remords ne la contraignît à courir au chevet du lion blessé et à subir ses reproches. Il fallait tromper son cœur, son faible cœur qui consentait au