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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

main de Clotilde disait assez qu’elle comprenait parfaitement ce qu’elle faisait répéter, mais elle prétendait, au nom d’une croissante horreur, repousser l’évidence et croyait, en demandant double et triple confirmation, décharger sa conscience, pour rejeter le poids du crime sur la situation matérielle.

Avec l’assentiment du général et aux applaudissements de la famille et des amis, Marko avait relevé le défi d’Alvan. Voilà ce qu’il avait à dire. Et c’en était assez pour que Clotilde le vît mort.

— Quoi ? s’écria-t-elle. Quoi ? Vous ? et ses doigts se crispaient durement sur ceux de Marko. Allons donc ! C’est impossible ! Elle s’en voulait de ne pas le plaindre davantage, mais elle venait de voir luire l’épée qui trancherait son nœud gordien ; lui mort, c’était l’obstacle supprimé ; c’en était fini de l’homme que ses parents opposaient à Alvan ; une porte sombre s’ouvrait devant un torrent de lumière. Elle n’avait jamais souhaité pareil dénouement, jamais espéré, rêvé cela, mais si cela devait être…

— Oh ! c’est impossible ! Il faut que l’un de nous soit fou ! Vous battre, vous ? C’est vous que l’on charge de… Et contre lui ? Mais c’est affreux, c’est abominable ! Incroyable aussi ! Et vous avez relevé son défi, dites-vous ?

Il répondit affirmativement et chercha au fond des yeux de Clotilde un regard d’amour.

Elle baissa les paupières et cria son indignation contre la lâcheté de ceux qui permettaient à Marko de se battre.

— C’est donc certain ; c’est donc vrai ? répétait-elle, brûlant et redoutant à la fois d’évoquer le