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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

du ciel, et elle fit appel aux trésors d’astuce des poltrons en révolte pour composer une lettre qui touchât le cœur du bon ange et le décidât à épouser sa cause. Il fallait lui faire comprendre, — et l’ange qu’il était comprendrait tout de suite, — pourquoi elle avait agi de façon apparemment si contradictoire. Enchaînée, cruellement contrainte par des menaces et d’hypocrites sermons sur ses devoirs filiaux, terrorisée, prisonnière, « au bord de ce lac bleu, en face du plus sublime tableau de la nature », exécrant un odieux acolyte, « exécrant ce Tresten », souligna-t-elle, elle avait trahi sa pensée. Oui, elle consentait à revoir Alvan ; elle voulait le revoir. Au véritable ami d’Alvan, à son seul vrai ami, elle pouvait bien ouvrir son cœur : il comprendrait aussitôt son affreuse situation. En présence de l’autre, elle n’avait pu donner aucune explication, pu se comporter que comme elle l’avait fait. Il l’avait glacée. Elle avait raison de tenir cet homme pour son ennemi. Elle se faisait fort de prouver qu’il trahissait Alvan. Malgré son absolue et immédiate confiance en la droiture et la bonté du Dr Störchel, elle était restée pétrifiée devant le colonel et comme en proie à quelque influence maléfique. Elle avouait s’être infligé un démenti parfait ; mais c’était faute d’avoir pu agir en toute liberté.

C’est le Dr Störchel qu’elle chargeait, à l’avenir, de la défense de sa cause, et qu’elle accablait, en attendant, de ces compliments qui doivent aller au cœur des anges mêmes.

Sa lettre était longue, ampoulée, non sans éloquence d’ailleurs, quand elle s’oubliait et redevenait elle-même ; très volontairement féminine au