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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

C’était là le gros point dont la baronne sentait toute l’importance. Elle réitéra avec vivacité sa question :

— Il a été là-bas ? Non ? Il a écrit ?

Tresten fit un signe affirmatif.

— Pas à la fille, je suppose ? Au père ?

— Il a écrit au général.

— Vous auriez dû l’en empêcher.

— Dites à une sentinelle d’arrêter une charge de cavalerie. Vous ne l’avez pas vu. Il est dans un état de fureur blanche.

— Je vais aller le trouver.

— Vous aurez tort. Laissez-le digérer le poison. Le pauvre Nuciotti, après qu’il venait de laisser ses hommes s’engager dans un traquenard — encore une histoire de femme ! — je me souviens qu’une de ses sœurs vint le voir. Elle le calma ; le chef avait fermé les yeux. Et le surlendemain, mon Nuciotti se faisait sauter la cervelle. Il serait encore de ce monde si on l’avait laissé en paix. Fureurs et imprécations sont un soulagement naturel pour certains hommes, comme les larmes pour les femmes. Il a écrit au père une lettre inimaginable où il envoie la donzelle au diable avec le nom qu’elle mérite, et provoque le général.

— Et cette lettre est partie ?

— Rüdiger l’a maintenant.

La baronne ouvrit de grands yeux sur Tresten, et, se frappant les genoux :

— Alvan, lui ? Mais le général est un vieillard podagre, hors cadre. Une rencontre avec lui est impossible. Il vous a fait des excuses pour l’insolence de sa fille envers moi. Il ne va pas se battre, soyez-en sûr.

— C’est fort possible, fit Tresten.