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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

ergoterait, agirait, avec une ardente conviction, pour prendre le contre-pied du moindre texte. La baronne le voyait donner l’assaut à la maison des Rüdiger, enlever Clotilde de gré ou de force, haranguer la foule et emporter sa captive ; il la tenait d’une main ferme, comme il l’avait juré ; il défiait l’autorité ; il devenait un rebelle public ; il laissait éclater la pauvreté du désir qu’il avait, jusque-là, nourri en secret, comme la mère coupable du petit enfant a peur de laisser voir l’orgueil de sa tendresse. La baronne avait compris que son ami visait à se bien poser dans le monde, et à devenir un membre honoré de la société ; il n’entendait, évidemment, rien renier de ses principes, mais laissait sentir son inclination, et l’idée de cet homme en rébellion ouverte, pour s’être vu frustré d’une alliance avec les rigoureux gardiens de cette société, creusait d’un pli ironique la lèvre de la baronne.

Non, sûrement, il ne se laisserait pas battre sans frapper le monde au visage. Il pourrait avoir à en souffrir ; mais les Rüdiger en souffriraient aussi.

La baronne jugeait ces hobereaux fort stupides. Son expérience de la petite noblesse lui avait, dès l’abord, fait pressentir leur horreur d’un prétendant comme Alvan et deviner qu’ils le repousseraient de toutes leurs forces. Pourtant, le dernier succès d’Alvan semblait donner plus de poids à l’éventualité d’une soumission pacifique. Clotilde disposerait de sa main et serait reniée par sa famille. Pour légère, impertinente et superficielle qu’elle fût, elle devait avoir cependant quelque penchant pour Alvan ; il avait exercé sur elle une véritable fascination, qu’elle subirait de nouveau