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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

n’abuserait personne ? Il la connaissait si bien ; elle ne feindrait pas longtemps. Non : elle va vite trembler ; sa poitrine se soulèvera, puis s’affaissera aussitôt ; un mot de Tresten alors, s’il est un ami, et elle ne sera plus que vérité. Alvan l’entendait : « Oui, je veux le revoir ; oui, aujourd’hui même ! Qu’il fixe son heure. Qu’il vienne dès qu’il voudra ; qu’il vienne tout de suite. »

— J’en jurerais ma vie ! s’écria-t-il, mû par sa connaissance infaillible de la jeune fille, par la certitude de son amour.

Il était parvenu dans un quartier à lui inconnu de la ville ; il ne gardait nul souvenir de la physionomie des rues. Un ami qu’il rencontra le remit dans la bonne voie et revint sur ses pas avec lui. C’était le général Leczel, chef fameux d’une de ces insurrections héroïques dont les exploits de désespoir et de sang ont conquis cette loi plus large que réclament ceux qui invoquent avec ferveur le nom de la liberté. Alvan exposa à Leczel l’état de ses affaires avec une franchise toute continentale pour tout ce qui touche à un sujet naturel, puis poursuivant l’entretien sur les affaires publiques, finit par conclure :

— Comment, autrement qu’à coups de marteau, faire entrer dans la tête jaune et noire l’idée que nous ne vivons plus aux premiers jours du dix-huitième siècle ?

Leczel le quitta à la porte de son hôtel et promit de venir le voir dans la soirée. Ni Tresten ni l’avocat n’étaient de retour : il y avait une bonne heure que le colonel était parti et ni à droite ni à gauche on ne le voyait apparaître. Alvan monta dans sa chambre, consulta sa montre, puis se posta à la fenêtre. Im-