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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

tilde nous le révèle. À poursuivre la domination de cette enfant, Alvan pouvait un moment calmer ses violences passionnées, mais sa vie politique tout entière s’en trouvait menacée et risquait de changer de cours ; esclave de sa jeune femme, il allait consacrer toute son énergie à satisfaire ses fantaisies et ses caprices ; le républicain risquerait de viser trop vite au pouvoir pour faire asseoir à son côté sa bien-aimée sur son siège exalté ; des enfants viendraient peut-être qui, avec les tendances du légiste endurci, ramèneraient insensiblement le démagogue aux Philistins, émousseraient le fil tranchant de son radicalisme, en feraient un libéral tiède et à demi-conservateur déjà. La femme qu’il aurait épousée trouverait-elle suffisant de s’être unie à ce falot personnage ? Il faudrait se saisir du pouvoir…

Alvan tira sa montre. Tresten devait maintenant être en présence de Clotilde ou tout près de la voir. Le calme du ciel était impressionnant. L’heure suspendait son haleine. Peut-être Clotilde tardait-elle à descendre. Il la vit dans sa chambre, portant la main à ses cheveux, plus nettement qu’il ne voyait le lac devant ses yeux. Il la regardait, et l’approche du rugissement prêt à sortir de sa poitrine retint le geste de froide malice. La voici enfin décidée ; elle coule le long de l’escalier, comme une cascade, et entre dans le salon, droite, calme, pour qui n’a pas l’oreille collée à sa poitrine. Tresten la contemple et reconnaît qu’elle mérite bien des combats. C’est l’amour qui ouvre vos yeux, ami Tresten, l’amour qui foule aux pieds les préjugés et aplanit toutes les aspérités. Tresten ouvre de grands yeux et s’avoue qu’elle vaut des peines plus rudes que celles qu’en-