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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

glantée, pu voir un esclave de l’amour, jouant son va-tout sur l’amour, aimant en désespéré, adorant une jeune fille, attendant d’elle le mot qui pouvait, à son humble requête, lui faire ouvrir la porte des citoyens paisibles à passions policées ou, au contraire, — un mot de jeune fille ! — l’anéantir.

Il aimait en Oriental, fils du désert, comme si son sang n’eût jamais cessé d’être trempé dans son Orient originel ; il aimait en barbare, mais avec la stricte volonté d’imposer silence à son sang, de se comporter en civilisé assagi par la grâce de sa dame. À vrai dire, c’est le civilisé qui avait, dès l’abord, fait de la conquête de Clotilde un appât pour le barbare. Et ce civilisé, fort de sa maîtrise d’un jour, espérait bien la conserver. Révolutionnaire par imagination, ami du travailleur par sympathie raisonnante, chef de masses par calcul, Alvan était avant tout un juriste argumentateur de la loi et partant, un cousin germain obligé, tout prêt à devenir l’allié des Philistins, créateurs et féaux de son Livre de Loi. C’est son penchant secret autant que son inclination d’esprit qui lui avait fait choisir une fille des Philistins, dotée de leurs élégances raffinées, gouvernée par maints de leurs préjugés et désignée pourtant par sa réputation d’originalité, par sa culture d’esprit et son amour de la beauté, pour être la compagne de son extravagance. Il faut des Philistins pour posséder ces beautés de choix, pour élever ces fleurs délicates et, même chez eux, on ne rencontre pas à chaque pas une exquise, une excentrique et pourtant assez mondaine Clotilde. Ce que ses amis politiques ne découvrirent jamais en lui, ce que la baronne ne fit que soupçonner, en se fiant à son hostilité instinctive, Clo-