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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

XVI

Soudain il se surprit à dire :

— À l’âge où j’arrive…

À quarante ans, les hommes qui aiment, aiment jusqu’au fond de l’être. Qu’on leur arrache l’amour, la vie vient avec.

L’orgueil de sa vigueur physique, rempart solide, le rassura. Ses quarante ans, les quarante, les cinquante, les soixante ans d’un Alvan valaient les vingt ou les trente ans des autres hommes.

Il s’avoua pourtant qu’il avait atteint l’âge où se fait naturel le désir d’élire de façon définitive, pour y enclore une virile tendresse, une chère et belle poitrine. Et Clotilde n’était-elle pas la plus chère, la plus belle qui fût jamais sur terre ? Tête nue, pour se rafraîchir, il regardait dans la direction prise par Tresten ; le front brillant, les yeux chargés de toute l’électricité de son esprit, il scrutait impérieusement l’âme des passants, sans accorder une pensée à aucun de ces objets mouvants. Il les déchiffrait, les pénétrait pour les rejeter aussitôt comme une roue rejette la boue, et leur image ne s’en trouverait pas moins gravée en traits d’acier dans sa mémoire, le jour où le mouvement persis-