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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

que l’on verse le sang au nom de raisons personnelles. Oh ! maintenant, il se tenait bien en mains. Il savait manœuvrer avec l’opposition ; il savait supporter sans broncher les ripostes que lui attirait son propre goût pour les sarcasmes blessants : mot pour mot, ligne pour ligne ; il ne se laissait pas emporter et mettait ses adversaires au défi d’exciter sa colère. Il n’y avait pas grand danger qu’on l’amenât jamais à sortir de son calme. Il songeait aux insultes dont les Rüdiger l’avaient abreuvé, et à l’injure que lui faisait le père de Clotilde en s’efforçant de lui ravir sa fille. Pour répondre victorieusement à ses manœuvres, un Alvan n’avait recours qu’à une escrime pacifique.

Il ne voyait que la politique pour exalter son irascibilité contenue. Un jour viendrait, peut-être où le rude Homme de Fer et lui s’affronteraient et devraient se mesurer corps à corps. Ce jour-là, Alvan aurait besoin de toute sa prudence, mais il serait certainement plus maître de lui que son adversaire. Il représentait un monde jeune ; il était adapté au nouvel ordre de choses ; l’autre basait son inflexible système sur des visions de féodal, et s’il gagnait, par chance, une première manche, il n’en remporterait pas de seconde ; ce n’était pas l’homme de l’avenir !

La promesse de calme après ses perturbations récentes, amena Alvan à fane un retour sur lui-même et à envisager un avenir prochain et nimbé d’une rassurante brume dorée. Il avait un nom et une situation ; il voulait le pouvoir et le voyait approcher.

Il voulait une femme aussi. Le colonel de Tresten et le Dr Störchel devaient déjeuner avec lui au