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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

la justice de notre temps, de nos gouvernements de privilégiés, dont l’énergie s’emploie, à force d’étais et de tours de passe-passe, à consolider les colonnes de notre civilisation, mais une justice fondée sur les besoins reconnus des majorités, qui, pour plus de solidité, assoira sa colonne sur une large base — large comme l’immensité blanche et formidable de cette montagne, — et assurera enfin la stabilité de l’édifice.

— Tu as raison, toi.

Arrivé à ce point de sa méditation, Alvan apostrophait le vieil Homme de Fer et, un moment plus tard, c’est au grand Génois Giuseppe qu’il disait :

— Et toi aussi ; toi plus encore ! Mais moi, moi aussi, je suis dans le vrai, à mi-chemin entre cette barre de fer de la politique et le grand rêveur, entre ces deux incomplets, parce qu’à chacun d’eux manque une parcelle du génie de l’autre.

Au point de vue pratique autant que dans l’abstrait, Alvan voyait juste en l’espèce, car les deux extrêmes s’unissaient et se fondaient en lui : comme le premier il comptait sur la suprématie de la force ; comme le second, il percevait où se trouvait le droit éternel.

Au cours de ses jeunes années, il n’avait pas su se résigner au frein qu’acceptaient ces deux hommes, surtout l’Italien. Il était plus proche de l’impatient septentrional, sans posséder pourtant sa souplesse en affaires. Mais maintenant il avait conquis le calme du Génois ; il exerçait une grande maîtrise sur lui-même ; il érigeait en principe que la vie est trop brève pour admettre des colères publiques ou des querelles privées, trop précieuse pour être exposée sans fruit, trop sacrée, peut-on dire, pour