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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

sommets et marie la blancheur de la neige et le ciel. Au fait, j’ai rêvé d’elle cette nuit : elle était mi femme, mi arbre et sa chevelure, branche morte d’if, était d’un brun calciné, de cette couleur que la tradition populaire assigne aux veuves. Elle se tenait debout, et de quelque côté que je me retournasse, je la retrouvais. Est-ce de moi qu’elle était veuve ? Je ne saurais le dire : il faudrait d’abord qu’elle fût ma femme. Oh ! quand serons-nous à demain ?

— Quel temps fait-il ce soir ? demanda la baronne.

— Un temps de Mont Blanc. Je l’ai regardé en venant. Et Alvan prit son chapeau pour sortir et aller de nouveau contempler la montagne souveraine. Leurs mains se touchèrent. Il promit de revenir le lendemain, dans la matinée.

— Soyez calme, conseilla-t-elle.

— Bah ! Il rejeta la tête en arrière, comme pour faire fi de ses soucis. Après tout, ce n’est qu’une jeune fille. Mais quand j’ai mis mon cœur à une entreprise, vous le savez… C’est une chose si futile, je me suis donné tant de mal pour la mener à bien que je serais ridicule en me laissant battre. La seule raison de toute la peine que nous prenons, c’est, comme je l’ai mille fois répété, qu’elle est faite pour moi. On ne saurait être plus calme que moi.

— Restez-le, conclut la baronne.

Alvan gagna l’endroit où le grand lac bleu, trouvant une issue, engage l’épaule comme un athlète aux muscles luisants, et forme le torrent du Rhône. Il resta là tout une heure, apaisé par le tumulte limpide des eaux, encouragé par la masse d’une force qui ne faiblit jamais, qui emporte tout l’azur