Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

siens, pendant les préparatifs de son mariage avec un démocrate, démagogue et Juif, réputé de naissance inférieure à la sienne. Voulez-vous une sœur de Momus ? Prenez Clotilde ! Je la connais. Je m’engagerais à exercer assez d’empire sur elle pour la faire vivre dans un pays quelconque. Sauf en Russie, toutefois. Un pays barbare, mais qui ait du soleil. Il lui faut du soleil. On pourrait l’envelopper de fourrures, mais le soleil vaut mieux. C’est lui qu’elle préfère à tout, bien que les fourrures lui aillent à merveille. Je n’oublierai jamais… C’est une frileuse, et elle frissonne, tout emmitouflée qu’elle soit. Il y a des Français qui peindraient ce tableau-là, et ils le pourraient seuls ; nos artistes en seraient incapables. Elle est très française. Née à Paris, elle eût fait une incomparable Parisienne. Avec tout cela, elle reste une énigme que, bien entendu, je ne prétends pas toujours déchiffrer tout entière. Le renvoi de mes cadeaux me semble étrange. Je maintiens que seules sa lâcheté et la pression exercée sur elle l’ont fait agir : il n’y a pas d’autre explication possible. J’étais loin de ses yeux ; on l’a maltraitée : elle a cédé, d’une façon qui paraît ahurissante, incompréhensible, — la chatte ! — jusqu’à ce qu’on se souvienne de ce dont elle est faite : c’est un roseau ! Maintenant, je reviens armé de pouvoirs propres à lui rendre son libre arbitre, et la créature abjecte que vous avez vue récemment me renier va redevenir la jeune aurore qui frappa à ma porte sur une cime des Alpes. Quel matin que celui-là ! Il restera pour moi identifié avec Clotilde jusqu’à ce que mes yeux se ferment. Elle est toute jeune ciel et montagnes. Elle est la lumière déliée qui baigne les