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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

— Qu’elle soit seulement à moi ! disait-il.

Au surplus, et comme pour le réconforter, l’amie anglaise de Clotilde venait de lui envoyer la lettre où la jeune fille, avec une voix tremblante de tendresse, s’étendait sur son amour. Lettre de bien peu antérieure au parjure : d’un jour, de dix-huit heures ! Quelle satire lamentable des événements que le rapprochement de ces deux dates ! Mais la brièveté même de l’intervalle qui séparait ce roucoulement amoureux et ce reniement dénonçait une intervention tyrannique. On la percevait avec évidence. Oui, sûrement, on avait contraint par la force, par la terreur, la pauvre poltronne à le renier. Qu’avait-elle fait pourtant de sa ruse de lièvre, — puisque lièvre elle était, — comme le chasseur se plaisait à se la représenter ?

Avant d’aller retrouver son mentor, Alvan fit demander une audience au général de Rüdiger qui se garda de la refuser à un homme aussi bien armé pour faire valoir ses droits. Tresten fit une partie du chemin avec son ami, avant de le quitter pour aller voir la baronne.

Lucie, baronne de Crefeldt, était de ces personnes qui, après un bref essai du rôle de femme, se sont faites hommes, mais dont les hommes, stupéfaits et scandalisés par cette dure mâchoire carrée émergée des tendres promesses d’un corsage fleuri, se refusent à imaginer qu’elles aient, en leur printemps, connu la douceur et le charme féminins. Une mistress Flanders en culotte et chapeau d’homme, tirant sur un brûle-gueule, invoquant à cœur-joie d’obscènes divinités et entassant à la pelle des incongruités fort peu féminines, élève un mur opaque entre son présent et son passé vir-