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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

victime de la déesse et entendent n’avoir rien de commun avec elle.

Alvan avait déjà sujet de triompher. L’extraordinaire ardeur de son plaidoyer et la lucidité de son exposé lui valaient un premier succès : il ramenait de son expédition un émissaire chargé par le chef hiérarchique du général de Rüdiger de s’assurer que la jeune fille, si passionnément poursuivie par le premier génie politique et le plus grand orateur de son temps, ne cédait pas à la tyrannie paternelle, mais restait libre de son choix. Rares ceux qui se seraient hasardés à pareille entreprise, plus rares encore ceux qui auraient réussi. Alvan n’était pas un vantard : il savait gagner l’oreille des hommes graves aussi bien que celle de la foule ou des femmes. Il avait donc sa promesse d’entrevue avec Clotilde, et devant un tel résultat, les télégrammes de Tresten, les messages affligeants arrivés pendant son absence étaient autant de coups à demi-cicatrisés déjà. Coups cruels, cependant, blessures que faisait saigner la vue des présents et des lettres étalés sur la table. Quant aux deux mots griffonnés à l’intérieur du paquet, il s’étonnait de l’ironie imbécile qui avait poussé Clotilde à souligner un tel geste de ce nom de l’Enfant, de cette tendre épithète qu’il lui appliquait. C’était, par un rappel inutile, aggraver l’horreur du coup qu’elle lui portait : c’était une vaine méchanceté, une de ces impertinences dont il la savait capable ; une preuve de plus que, loin de lui, elle était toute faiblesse et toute légèreté, mais à la veille de l’entrevue tant souhaitée, en vue du but atteint à force de peine, il n’avait plus qu’à se frapper la poitrine et à faire montre d’une mâle confiance.