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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

perdre, et tant débordait le torrent de sa passion pour s’emparer d’elle. Et c’est ce sauvage primitif qui, à cette heure même, s’attachait à exposer avec patience et concision des textes de loi ; il parlait un langage de gentleman moderne et cultivé, et c’est, somme toute, en gentleman moderne, selon les règles du monde, qu’il souhaitait épouser la femme qu’il aimait. Il voulait faire appel à tous les moyens. Les yeux flambants devant sa proie, il s’inquiétait peu de ce qu’elle souffrirait en cas de résistance ; par les cheveux ou par la jupe, peu lui importait comment il la traînerait, comment il l’emporterait. La loi, il l’interprétait pour les puissances terrestres ; il avait d’autres procédés pour se concilier les puissances infernales ; quant aux puissances d’en haut, il leur adressait de temps en temps, après coup et comme par raison, certains grondements fougueux qui lui avaient échappé. Ainsi ne négligeait-il rien de ce qui pouvait lui assurer l’appui de ce monde, de l’enfer ou du ciel.

Il en est ainsi quand Vénus mord un véritable mâle, un mâle vigoureux et mûr. C’est à une bête magnifique qu’elle instille son poison et non à une Phèdre gémissante. Fait rare d’ailleurs, car si toute femme rêve de l’amour d’un géant enragé, la sage mère des amours, dans son désir de protéger la passion même, soustrait les curieuses à l’haleine de feu du dragon. Ne fuient-elles pas à grands cris, dès que paraît le monstre ? Elles ont à peine le courage de lire ce qui a trait à lui. Les hommes, de même, accoutumés à de moindres doses d’amour, à des doses qui modèrent, atténuent, contrarient la maladie, au lieu de l’exalter, abhorrent la véhémente