Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

rait les tempêtes n’avait besoin que d’une impérieuse présence pour imposer silence au parti de la sécurité. Le colonel de Tresten n’était pas disposé, malheureusement, à remplir ce rôle au bénéfice d’une fille qui s’était jouée de son ami et avait insulté la femme qu’il admirait. Il se tenait figé comme la statue de la stricte politesse militaire. La sécheresse et les termes de l’accusé de réception de la lettre de la baronne étaient à ses yeux une insulte préméditée à une femme dont il s’était fait le champion. Il quitta la pièce sans que Clotilde l’eût entendu s’éloigner.

Sur quoi elle s’avisa soudain que ce Tresten était ami intime d’Alvan. Comment donc pouvait-on le qualifier de neutre ? Et le général parlait de lui comme d’un homme qui, malgré un profond et incompréhensible respect pour la baronne, comprenait et avouait l’absolue impossibilité de l’union contemplée par Alvan. Il avait reconnu, au surplus, que son ami, tout extravagant et excentrique qu’il fût, commençait à se convaincre qu’une famille comme celle de Clotilde ne pourrait jamais l’agréer ; âge, naissance, race, mœurs, rôle politique, égarements anciens et réputation morale s’opposaient à une telle prétention. Cette fausseté fit frémir Clotilde. Tresten et le professeur étaient deux beaux exemples de perfidie. Son respect pour la baronne prêtait aux yeux bleus glacés du colonel le froid de l’odieuse lettre. Et Alvan célébrait sa valeur, faisait de lui le plus brave des soldats qui eussent voué leur épée au culte de la liberté ! Pur hasard, pensait Clotilde : ce Tresten était, avant tout, un homme sanguinaire, et si jamais homme eut le mot de bourreau inscrit au front, c’était lui ! Et natu-