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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

griffe, elle prit une attitude de résignation douce, songeant aux éloges que son père prodiguerait à sa noble fille, aux baisers maternels, aux caresses de ses sœurs, aux grands yeux sombres de Marko et à la paix du foyer domestique. Tel devait être son bonheur, désormais. Pourtant Alvan avait encore le temps, encore la faculté de paraître et de trancher le nœud gordien. Cette pensée, lentement conçue, monta un instant à son cerveau comme un reste de fièvre, mais n’accéléra pas son pouls. Ses décisions avaient été motivées par des racontars auxquels, dans son for intérieur, elle ne croyait pas trop, et auxquels elle ne donnait pas asile dans son cœur, tout en cédant à l’aiguillon de ses craintes et de ses colères. Elle en connaissait la futilité et ne les invoquerait pas moins pour excuser sa conduite, à l’heure décisive où Alvan surviendrait pour s’entendre accabler de reproches. Elle gardait confiance dans cette venue tardive. Alvan, c’était un orage déchaîné autour d’une demeure paisible et livrée à la plus douce monotonie. La hardiesse naturelle de Clotilde lui faisait détester la monotonie, mais sa couardise l’inclinait à toutes les bassesses pour conserver la paix. Après les fustigations qu’elle venait d’endurer, la tranquillité lui paraissait infiniment désirable, mais la monotonie ressemblait fort à un enterrement. Sous le dur et soldatesque regard de Tresten, elle eût voulu, d’un grand cri appeler Alvan, bien qu’elle sût que la scène soulevée par son arrivée ferait fléchir et trembler ses genoux. Elle n’en eût pas moins été à lui : sa présence et la puissance supérieure impliquée par cette venue l’eussent soulevée jusqu’à lui. Le côté de sa nature qui ado-