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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Elle comparait en secret l’amour et l’existence des deux hommes. Dans la vie du prince, il n’y avait pas d’affreuse baronne.

Elle écrivit donc la lettre convenue, et dans les termes qui annonçaient son engagement au prince Marko, elle eut l’impression de dire, et de dire avec évidence :

— La baronne est maintenant débarrassée d’une rivale et va pouvoir vous prendre.

Si nette était cette conviction qu’il lui semblait n’avoir rien dit d’autre.

Dans le cœur, les séparations s’accomplissent à petits coups, et chez le poltron, chaque secousse, par le geste qu’elle détermine, provoque, pour un temps, une séparation absolue. La lettre une fois rédigée, ce n’est plus à Alvan que Clotilde pensa avec tendresse, mais au prince qui avait toujours aimé une jeune femme et ne s’était jamais empêtré d’une vieille. L’achèvement de sa lettre et le sentiment d’avoir fait le pas décisif la rendaient de pierre à l’endroit d’Alvan.

Quand se présenta le colonel de Tresten, dont le nom qu’elle connaissait n’éveilla en elle aucun souvenir, elle lui remit sa lettre avec un calme non joué, reçut de ses mains celle d’Alvan en échange, quitta la pièce comme pour la lire, et après l’avoir remise sans l’ouvrir à Marko, reparut tranquillement devant le colonel pour affirmer que ce qu’elle avait écrit était définitif.

Le colonel salua avec raideur.

Clotilde eut peine à se retenir d’ajouter :

— Je cesse d’être la rivale de cette affreuse sorcière.

Faute de pouvoir allonger ce formidable coup de