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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

s’était, de son plein gré, fiancée à un autre. Certaine vieille femme attendait avec anxiété cette officielle libération d’Alvan.

Le général qui savait, pour une cure semblable, doser en justes proportions cajoleries et menaces, supplia Clotilde de céder, en lui broyant tour à tour et lui caressant les mains, pour donner du poids à ses affectueuses instances.

Clotilde alla trouver Marko : elle consentait à lui remettre sans l’ouvrir la lettre d’Alvan (qu’au surplus elle disait n’avoir aucune envie de lire), s’il s’engageait à la lui rendre dans un laps de temps donné. Il y avait une sorte de plaisir interdit, acide et doux à la fois comme une agréable dissonance, dans l’idée de cet amoureux, gardien d’un dépôt brûlant, jusqu’au jour où la curiosité de ce que l’autre pouvait avoir à dire le lui ferait réclamer. Pour l’instant, elle n’en avait cure ; à demi-morte et uniquement soucieuse de contenter ses parents, elle avait pour but unique de ne pas entrer en conflit avec la baronne. Marko promit tout ce qu’elle voulait et ajouta :

— Laissons seulement passer l’orage pour nous trouver plus libres, et c’est moi alors, dès que nous nous appartiendrons à nous-mêmes, qui vous mènerai vers Alvan et m’en remettrai à votre choix. Votre bonheur, ma bien-aimée, est mon unique désir. Mais pour l’instant, soumettez-vous.

Il parlait d’une voix douce, avec un regard de tendresse, et l’indolente Clotilde se prenait à croire qu’elle pourrait l’aimer ; si un autre ne l’eût troublée, elle eût pu l’aimer et lui être fidèle ; ce qu’il y avait de naturel au fond de son cœur penchait vers le frêle jeune homme.