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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

qu’aucun mâle. Il fallait qu’Alvan préférât l’arbre rongé de lichen à la fleur ensoleillée, pour qu’aucune lettre de lui ne fût arrivée. Ces pensées de colère, et rien que de colère, qui agitaient Clotilde, éclairaient tous les recoins de son imagination, comme une torche allumée projette sa lumière, sinon ses étincelles, sur tous les objets d’alentour. La vieille décrépite à mâchoire carrée, elle en éprouvait un dédain trop écrasant pour sentir sa jalousie furieuse, mais de douloureuses visions d’Alvan lui infligèrent des morsures si cruelles qu’elle chercha un refuge dans leur mépris à tous les deux. La vieille sorcière l’avait repris et le tenait bon. Qu’elle le gardât donc ! Regrette-t-on un homme capable d’un choix pareil ?

Le général ne laissa pas échapper l’occasion d’insister sur l’opinion du monde. Il fit de force avaler la calomnie à sa fille et la contraignit à se ranger, de dégoût et contre son propre gré, aux côtés de sa famille.

Puis le feu de cette frénésie fit soudain place, chez Clotilde, à une froideur glaciale. Elle ne ressentait plus ni palpitations ni colères. Le désir lui semblait aussi vain que la vie. Elle put entendre dire, sans frémissement, qu’Alvan était dans la ville, et ne se demanda pas si la nouvelle était exacte. Il ne lui avait pas écrit et l’avait livrée à la baronne. Elle ne s’étonnait même pas de cette absence de lettre et redoutait d’y attacher son esprit ; une lettre interceptée par son père, c’était une des épreuves de son châtiment ; si Alvan n’avait pas écrit, il n’y avait plus rien à espérer. Au surplus, la récente humiliation qu’elle avait subie condamnait Alvan ; elle lui en voulait de n’avoir pas su se montrer