Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

À moins, songea-t-elle soudain, qu’Alvan, fidèle à sa parole, et surgi au pied de l’autel, entre elle et Marko, ne vînt la sauver d’un sort abject, forcer son choix et lui faire quitter le prince. Sa seule présence lui inspirerait le courage nécessaire pour aller à lui, et elle envisageait la cérémonie comme une perspective de délivrance.

Mme de Rüdiger n’avait pas manqué de remarquer un changement sur le visage brumeux de Clotilde, depuis l’arrivée de Marko ; ses observations s’accordaient avec le récit de l’entrevue qu’elle tenait du jeune homme, et elle en concluait que sa fille avait, tant bien que mal, agréé le pardon de Marko. Pour lui, les yeux de Clotilde se faisaient doux et bienveillants ; son regard semblait, à travers le filtre des cils, contempler un lointain horizon de rêve. Marko parlait joyeusement d’elle et était heureux de la dire sienne, mais ne voulait pour la troubler, aucun engagement officiel ; elle lui savait gré de cette réserve et sa prescience d’une ingratitude insigne, cachée dans les ténèbres de l’avenir, comme la menace d’une mine sous le sommeil heureux d’une maison, l’inclinait à témoigner au prince gratitude sincère et tendresse. Ce renouveau d’affection rassura ses parents sur le compte de l’assiégeant évincé et la leur fit ramener en ville.

Deux partis s’y affrontaient : l’un soutenait Alvan ; l’autre abhorrait le Juif présomptueux. Leurs incroyables écrits des faits et gestes d’Alvan n’avaient pas besoin d’être fort grossis pour convaincre ses ennemis qu’il n’était pas homme à laisser les hostilités en sommeil. Le général sut qu’Alvan plaidait de tous côtés sa cause pour faire exercer