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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

vos cadavres, et rejoindre celui que j’aime ! Ne vous y trompez pas. Je l’aime plus que la vie de tous ceux que j’aime, plus que la mienne propre. Je suis à lui ; il est ma foi ; il est mon dieu ! Je lui suis fidèle, fidèle, fidèle ! Libre à vous de me forcer la main et de contraindre ce corps misérable, mais mon âme reste libre de l’aimer et de voler vers lui, dès que Dieu m’accordera de le revoir. Je lui appartiens pour toujours. Toutes vos lois ne sont que dérision. Vous, mes parents, vos prêtres et vos juges, vous n’êtes que vapeurs et ombres imaginaires. Qu’il me fasse signe seulement ! Vous voilà bien prévenu. Quoi qu’il advienne, vous ne pourrez pas me taxer de fausseté. Et maintenant, laissez-moi ; j’ai besoin de repos ; ma tête éclate. On m’a mise à la torture et je me sens brisée.

Marko lui saisit la main, l’accusa d’être terrible et sans pitié, mais garda la main.

Main inerte ; c’était sa chère main ; c’était le tout puissant antidote à des paroles plus empoisonnées encore que lui eût suggérées la faiblesse de son adversaire. Il y avait de l’amour pour deux chez Marko.

Clotilde abandonna sa main en s’affirmant que le geste était sans conséquence. Marko lui rendait la paix et l’orgueilleuse certitude de sa domination ; il était beau et doux comme une peau de léopard sous ses pieds.

Si elle devait retrouver Alvan par son entremise, au moins l’aurait-elle prévenu. La vision de sa propre loyauté faisait tomber du ciel un rayon de pâle lumière sur sa coupable destinée.

Elle congédia Marko avec une petite tape amicale et voûta ses épaules pour rétrécir sa poitrine