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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

La noble dame allait répondre, à moins qu’elle n’eût décidé d’agir, au lieu d’écrire. C’était une femme de haute naissance, issue de la meilleure aristocratie, qui pouvait, si elle le voulait, faire exercer sur le général une pression morale et officielle. Peut-être manœuvrait-elle déjà dans la coulisse. Clotilde se cramponna au fantôme de la baronne et se retrouva presque rassérénée quand le fantôme lui souffla à l’oreille qu’elle n’avait pas lieu de désespérer. « Vous avez été un peu faible », lui disait le fantôme, et elle acquiesçait avec un doux soupir, ajoutant : « Oh, très chère et honorée dame, vous qui êtes femme, vous savez quelles sont nos tortures quand on nous soumet à pareille persécution. Oh ! si je possédais votre beau calme ! Je l’admire, Madame, et voudrais m’en inspirer ». Elle poussait plus loin encore sa comédie d’ingénuité, et ses paroles : « J’ai vu votre portrait », impliquaient que le calme inimitable et tant envié se lisait sur l’image en question. « Car je ne puis dire que je vous trouve belle », concluait-elle en a parte, pour satisfaire à la fois son besoin de franchise et son amour des contrastes. Et, les yeux fermés, elle songeait à l’horrible pénitente que devait faire, à confesse, une femme aux traits si durs.

De là, il lui suffit d’un pas pour se voir elle-même au confessionnal, en présence d’un homme à tête encapuchonnée, à qui la stupeur d’une confession en mi-partie faisait vite tomber son capuchon et presque perdre la tête. La beauté peut se permettre une franchise totale, en face d’une ombre. La page noire était très chargée. « Mais sur la blanche », disait-elle au père trépidant dans sa boîte, « portez ceci à mon actif, que j’ai aimé Alvan ». Quelques