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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

de honte à la seule pensée qu’Alvan pût s’y laisser prendre : c’était faire injure à son intelligence. Le professeur lui-même ne s’y tromperait pas, et un amant dont le cœur saurait rejoindre le sien pour lire la vérité ne se laisserait pas duper par une feinte aussi transparente de vile soumission. Elle se comportait en esclave soumise, il fallait le reconnaître, mais la promesse de courage puisée dans la certitude de son bon sens la stimulait à l’avance : elle en avait si peu pour l’instant qu’elle en caressait l’espoir comme une immédiate possession, et s’en remettait à Alvan de le mettre à l’épreuve. D’où grief à Alvan d’une absence qui était cause de toutes ses faiblesses. Elle consentait pourtant, par générosité, à excuser son inexplicable retard. Mais voyez ce que cette longue attente nous cause de mal, soupirait-elle d’un ton pénétré.

Elle avait oublié sa lettre au professeur quand arriva la réponse. La vue de l’écriture d’un des plus fidèles amis d’Alvan lui fit l’effet d’un carillon : elle ouvrit la lettre, mais battit bientôt des paupières devant les lignes étranges et les phrases glacées qu’elle déchiffrait une à une. Le professeur lui conseillait de tenir ferme à sa résolution, de renoncer à Alvan et d’obéir à ses parents. Cet homme de haute culture et de noble intelligence moralisait comme une institutrice de province. Il pouvait bien connaître la profondeur de la passion de Clotilde, et avoir, moins d’un mois plus tôt, reçu l’annonce, délirante comme un chant d’alouette, de ses fiançailles : il lui conseillait aujourd’hui de mériter l’amour et l’estime des siens ; il faisait allusion à l’âge d’Alvan et à sa naissance à elle, l’approuvait de répondre aux vœux de sa famille, et se