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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

pour mériter ses éloges. Entre autres missives, ordinairement destinées à des amis de la famille, elle s’aperçut un jour qu’elle faisait part au professeur de sa résolution de bannir pour toujours Alvan de son cœur. Elle s’arrêta, son pouls cessa de battre ; la plume tomba de ses doigts que l’horreur raidissait. Son père l’engagea d’un ton cauteleux, à continuer. Elle ne s’en sentait pas la force et le déclara d’une voix étranglée. Il y avait si peu de jours qu’elle avait annoncé avec enthousiasme son prochain mariage au professeur ! Comment s’infliger pareil démenti ? Du coup, ses contradictions soudaines lui semblaient impossibles ; l’image qu’elle donnait d’elle-même n’avait rien d’humain, et tout son être convulsé se refusait à l’obéissance. D’où explosion de fureur du général et rappel des châtiments qu’elle s’était déjà attirés. Il connaissait le bon remède :

— Les filles indociles, on les dresse comme les soldats indisciplinés ; tu ne perdras rien pour attendre. Écris : « Il ne m’est plus rien. » Si tu hésites, je te ferai ajouter que tu le détestes. Voyons, absurde coquine, tu as renoncé à lui ; tu le lui as dit à lui-même ; quelle objection peux-tu avoir à l’annoncer à d’autres ?

— C’est vous qui m’y avez forcée, physiquement et moralement, sanglota Clotilde, renonçant de désespoir au ton d’enfant gâté qu’elle affectait pour amadouer son père. Si vous m’obligez à le dire, je veux au moins expliquer comment la chose s’est faite. Que mon cœur n’ait pas changé et qu’Alvan soit et doive toujours rester mon seul maître, le monde le verra. J’écrirais plutôt que je le hais.

— Tu vas écrire : « Cet homme ne m’est plus rien »,