Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

et une décision rapide comme celle des écoliers dans une boutique de pâtissier. Ils prennent ce qu’ils trouvent sous leur main, sans plus user de coquetterie que l’affamée d’amour d’un village perdu, pour qui le clergyman passant devant sa porte représente toute la beauté du monde. Sur un signe, son cœur est à lui. L’ardent désir d’une armée de soupirants encourage au contraire une jeune fille à consulter son goût. Les hommes, en juges appelés à rendre des sentences sur les choses féminines, admettent à peu près cela. Aussi bien savent-ils qu’un choix fait par un goût encore mal assuré conduit souvent à des méprises difficiles à réparer. La jeune coquette doit donc de toute nécessité se montrer cruelle, comme il nous faut battre l’eau pour échapper à la noyade. Elle n’a pas toujours affaire, d’ailleurs, à des souches ou à des pâtes molles : il lui arrive aussi de tomber sur de vieux roués que leur connaissance du sexe rend habiles à déjouer les ruses de sa jeune individualité. Plus fertile son imagination, source de force pour l’avenir, plus vulnérable se fait-elle en ses jours d’ignorance.

Les premières années de jeunesse de Clotilde et leurs épisodes amoureux s’entourent de ces brumes que Diane, dans son indulgence, fait tomber sur ses téméraires favorites. Elle n’était pas soumise à la rigide surveillance d’une mère française. En France, les mères soustraient résolument leurs filles aux périls d’une lutte inégale entre l’innocence benoîte et la brutale convoitise. On use moins de vigilante prudence, quand on connaît moins les secrets du monde. Les jeunes gens de la haute société, et les jeunes filles plus encore, concluent