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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

connaissance de cette pécheresse particulière eût déchaîné ses malédictions contre l’espèce tout entière. Il se tordait, s’étreignait la poitrine, comme si la lettre fatale eût collé à ses flancs. Il l’appuyait à ses côtés, la frappait, la froissait, la caressait, la baisait, puis la jetait à terre et la piétinait avec des injures. La voyant à ses pieds, il se penchait brusquement, comme un homme cassé en deux, se lamentait, gémissait, revoyait un instant Clotilde. Le papier collait à sa chair, et par mépris de celle qui l’avait écrit, par doute de son geste, il tirait sur le trait empoisonné, brisait la hampe, et laissait le dard dans la plaie : elle les avait bien tracées ces lignes, à supposer même qu’on l’y eût contrainte par la force. Torturé à suivre la trace de sa main sur le papier jusqu’à la signature, il sentait la morsure mortelle et profonde de l’aspic auquel il ne pouvait faire lâcher prise. La lettre vivait ; l’exploit état toute la femme ; il n’y avait pas à les séparer l’une de l’autre ; c’était le meurtre de l’amour.

Oh ! cette femme ! elle a tué l’amour ; elle a supprimé l’amour. Archi démon, meurtrière de l’humanité, Apollyon femelle ! Une fois de plus, aux yeux d’Alvan, Clotilde disparaît sous l’iniquité prodigieuse qui couvre son sexe d’un manteau de nuit ; il ne voit plus que les femmes, ce que sont, ce que font les femmes, de la première à la dernière, poupées niaises et sans âme, entraves de l’homme, suceuses de sang ! Puis soudain, un trait de l’unique criminelle qui lui revient à l’esprit, l’accable de tortures nouvelles avec le souvenir de son absurde générosité.

— Pour cette femme, — vous me connaissez,