Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Sort cruel pour Alvan : celle qui était devenue pour son cœur altéré l’étincelante nébuleuse, était aussi une femme dont il connaissait la fragilité. Qu’il l’eût ravie à un rival, la chose n’était ni étonnante, ni injustifiable : ils étaient assortis comme deux autres ne pouvaient l’être ; le bel enfant qui avait été uni à Clotilde par une sorte d’engagement était son esclave, et c’est un maître qu’il lui fallait pour compagnon. Elle était venue tout naturellement à Alvan, mue par la compréhension sacrée de leur merveilleuse analogie. Mais deux fois, laissée à elle-même, elle avait fait défection, pour se soumettre à nouveau dès qu’ils s’étaient retrouvés, implantant ainsi au cœur d’Alvan la conviction fatale qu’il la tenait et ne pouvait la tenir que par une influence matérielle et directe. Conclusion à demi-véridique, à demi-erronée, puisque même écartée de lui par sa seule faiblesse, Clotilde croyait encore en lui, mais seule conclusion précise à quoi il pût arriver, et qui lui fut fatale, en déchaînant le démon de son impatience.

— Ils creusent leurs sapes maintenant, en ce moment même !

Déjà indifférent aux moyens employés et sans cesse plus téméraire à mesure qu’il se grisait de son agitation, il mit sur pieds mille entreprises folles pour arriver jusqu’à elle. Un peu de confiance, le peu même qu’elle méritait, l’eût arrêté : malheureusement, il en avait moins qu’elle, qui en avait assez pour croire confusément à sa constance et ne l’avait renoncé que par faiblesse de cœur. Lui, quand ne l’apaisait plus la certitude de sa domination, la traitait de sable mouvant. Pourquoi l’avoir laissée échapper, alors ? Cette question aux